Mines | RDC : « Il faut renforcer les mécanismes de certifications et de traçabilité, mais surtout diversifier l’économie. » – Soraya Aziz S.

La RDC, surtout dans sa partie Est, fait face à une situation contrariée. Dans des carrés miniers sévissent des milices. Les conditions de travail dans les mines congolaises sont assimilées à une sorte d’esclavage moderne. Les acteurs locaux y impliquer ne parviennent pas non plus à relever leur niveau de vie. Une malédiction, une fatalité ou un défi ? Pour répondre à ces questions, The Kivu Times s’est entretenu avec Soraya Aziz Souleymane, activiste des droits humains, spécialiste  des questions de développement et est Deputy Director au Centre Carter en RDC.

Soraya Aziz Souleymane, Spécialiste des questions minières et de développement. (Ph. Tiers)
Soraya Aziz Souleymane, Spécialiste des questions minières et de développement. (Ph. Tiers)

The Kivu Times : Comment dissocier la problématique « ressources minières » des conflits armés en RDC et dans la sous-région des Grands-Lacs ?

Soraya Aziz Souleymane : La Solution pour moi serait de coupler les efforts de pacification et de traçabilité des minerais avec des projets de renforcement de capacité économique. Ces creuseurs ne choisissent souvent ce métier dangereux que par manque d’alternatives économiques. Une révolution agricole, une implantation de manufacture, un boom du secteur touristique ou un artisanat minier en coopératives encadrées sont autant de possibilités auxquels le gouvernement et ses partenaires internationaux devraient penser. D’un autre côté l’exploitation industrielle, si elle est bien gérée, peut aussi avoir des impacts positifs sur la sécurité et les revenus locaux et nationaux.

Dans les mines de l'Est du Congo, exploitants artisanaux, milices et groupes armés cohabitent. (Ph. Tiers)
Dans les mines de l’Est du Congo, exploitants artisanaux, milices et groupes armés cohabitent. (Ph. Tiers)

Comment améliorer les revenus des exploitants miniers artisanaux et améliorer leurs conditions de travail ?

Au Congo l’artisanat individuel n’est pas légal. Un citoyen congolais ne peut pas se lever un matin et se donner à des activités artisanales n’importe où et n’importe quand. Un décret de Janvier 2013 et les actes d’engagement signés par les représentants des creuseurs artisanaux les oblige à plusieurs choses, notamment l’enregistrement en tant que creuseur artisanal auprès de la division des mines/SAESCAM. Ensuite, seules les coopératives peuvent demander des permis d’exploitation, pas des individus. Ces coopératives seront ensuite encadrées par les agents de Saescam pour maximiser leurs investissements et éviter les impacts négatifs sur leurs santés et leurs sécurités. Les Creuseurs artisanaux ainsi identifiés et encadrés n’échapperaient pas au SMIG. Si ces lois pouvaient être mises en vigueur (et adaptées au contexte de chaque carré) il y aurait moins d’abus des droits humains dans les carrés miniers, en tout cas pour ce qui concerne la sécurité des travailleurs.

Qu’est-ce qui explique que les zones minières sont peu développées alors que les ressources minières se négocient très bien sur le marché national et international ?

Les zones minières (industrielles ou artisanales) attirent souvent les populations environnantes en quêtes d’opportunités économiques. Ce flux migratoire apporte un stress sur les infrastructures sociales existantes. Les services publics déjà sous-équipés doivent faire face à une marrée humaine et ne peuvent fréquemment s’en sortir sans l’implication des opérateurs économiques. Ceux-ci quant à eux se déchargent de cette obligation sociale en mettant en avant le fait qu’ils paient des taxes au niveau national. Ce niveau national ne renvoie pas les frais d’expansions à ses représentants locaux qui continuent de faire face seuls à ces flux. Dans ce mouvement de grande migration viennent aussi des prostituées, des criminels, des policiers et militaires véreux. L’accès aux écoles, aux centres de santé, l’accès à l’eau ou à l’électricité devient un luxe que la plupart des habitants ne peuvent plus s’offrir. La situation devient alors pire que dans les zones relativement moins riches.

Les minerais congolais sont souvent dits mêlés au sang des victimes, aux larmes des enfants et aux cris des femmes violées. Est-ce une vérité ou une fatalité ?

Dans le chaos que je décris plus haut, les abus sur les femmes et les enfants, considérés comme vulnérables au vu des circonstances, peuvent devenir monnaie courante. Les parents demandent à leurs enfants de quitter l’école pour les accompagner dans les puits. Les femmes quant à elles sont souvent personæ non grata dans les puits. Elles seraient porteuses de mal chance. Elles sont donc exclues de la chaine de valeur sur base de simples superstitions. Les plus chanceuses se constituent un capital et deviennent restauratrices. Le reste se trouve obligée à la prostitution pour survivre.  L’autorité de l’État a continuellement du mal à être renforcée et les forces de l’ordre cède fréquemment à la corruption et s’impliquent même parfois dans des activités illégales. Sans contrôle du niveau supérieur, tout devient permis. Certains abus sont même commis avec la complicité de leurs hiérarchies. Ceci renforce l’impunité et fait de cette situation d’exception une pandémie à laquelle les habitants finissent par s’habituer et à s’adapter.

Pensez-vous que l’apparition des théories sur les minerais de sang et le processus de certification a apporté un plus dans les économies locales au sein des zones minières ? Pensez-vous par exemple que la loi Dodd-Frank a mené au rétablissement du climat social dans les zones minières de la RDC ?

C’est une bonne question dans la mesure où plusieurs communautés dépendent des ressources naturelles. Certaines initiatives internationales ont décrié le problème des minerais des conflits. Ceci a amené le Gouvernement Américain à adopter la loi Dodd-Frank qui requiert que toutes les compagnies américaines tracent leurs minerais. Le Gouvernement Congolais a aussi procédé à la suspension des activités dans certains carrés miniers. Cependant, ceci a eu pour effet d’appauvrir davantage des communautés qui dépendent en majorité de l’exploitation de ces ressources et a eu comme conséquence majeure la création des réseaux clandestins qui ont propulsé le Rwanda au rang de premier producteur mondial de Coltan. Pour moi, il faut appliquer les solutions dont j’ai parlé plus haut, à savoir la création d’activités économiques alternatives permettant aux communautés de survive sans ces revenus miniers. Je salue pour cela la règlementation récente de l’Union Européenne qui a pris cet aspect de l’économie locale en considération.

Pour les organisations de la société civile du Kivu, les minerais aident à perpétuer les conflits, mais ils n’en sont pas la cause. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’au début les minerais servaient à financer une guerre dont les enjeux étaient multiples.  Aujourd’hui il y a autant de conflits qu’il y a de causes. Personnellement, je ne pense pas que ces milices et ces forces armées défendent un idéal à l’échelle nationale. Ils ne sont plus pour la plupart que des pilleurs. Petit à petit, les minerais sont donc devenus la cause et non plus le moyen de financer une cause légitime.

Le 23 mars 2014, Martin Köbler, chef de la Monusco avait estimé à Goma que certains groupes armés naissent de l’appétit minier, et presque tous se développent, s’enrichissent et se renforcent grâce aux revenus tirés de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Qu’en dites-vous ?

Je suis d’accord avec lui. Il faut renforcer les mécanismes de certifications et de traçabilité, mais aussi et surtout il faut diversifier les activités économiques. Avec l’idée des ilots de stabilité, il est possible de créer des écosystèmes propices à l’émergence de la production des biens et services qui pourront remplacer l’économie presque entièrement dépendante de l’artisanat minier.

Selon les Nations Unies, seulement  8%  des conflits en RDC sont liés aux minerais. Comment analysez-vous ce propos ?

Je ne sais pas confirmer ces chiffres. Ce que je sais, c’est que ces conflits trouvent leur financement dans des activités minières. Les conflits fonciers occupent une grande place dans la liste des conflits classés par leurs causes. Mais ils s’arrêtent souvent aux individus ou peut-être à des clans. Ils ne prennent des proportions vraiment inquiétantes du point de vue sécuritaire qu’à partir du moment où, il se trouve un carré minier en jeu. Je prends l’exemple des Tshondos et Kurengamuzimu qui se battent depuis des décennies pour la carrière de Mukungwe au Sud Kivu. Ce conflit ne serait ni aussi long ni aussi couteux en vie humaine si le sous-sol de ce groupement de Ngweshe ne regorgeait pas d’autant de richesse.

Comment voyez-vous l’avenir du trafic des ressources naturelles à l’Est de la RDC et dans la sous-région des grands lacs ?

Je pense que les ressources naturelles de la RDC sont une bénédiction. Le pays et la sous-région entière se développeront en utilisant toutes ses ressources. Les hommes et la nature. Les ressources renouvelables et celles non renouvelables. Pour s’assurer que tout le monde profite bien des opportunités qu’offre ce don de la nature, nous devons renforcer notre cadre légal et multiplier les mécanismes de contrôle à tous les niveaux de la chaine de valeur ; de la négociation du contrat à l’usage des revenus miniers en passant par la définition de l’assiette fiscale et la taxation. Nous devons aussi travailler main dans la main avec nos voisins pour s’assurer que nous ne remplissons pas une bouteille que leurs citoyens s’empressent de vider. Je reste très positive sur l’avenir du Congo et sur le potentiel énorme qu’offrent nos richesses.